L’enfance et les sortilèges

Certains artistes, peu épris de sobriété, n’hésitent parfois pas à forcer sur les effets dès lors qu’il s’agit de faire ressentir cette Inquiétante étrangeté si chère à Freud et à ses disciples. Monstres polymorphes, distorsions angoissantes et chromatisme agressif sont en effet les recettes éprouvées, mais souvent éprouvantes à force de répétitions, d’une certaine tradition fantastique. La plasticienne Sophie Papiau n’est décidément pas de cette école criarde et grandiloquente. Plus proche du poète T.S. Eliot qui s’engage à nous faire « voir l’horreur dans une poignée de cendre », l’artiste aime à avancer à pas feutrés. Sachant que pour débusquer l’insolite ou pour expérimenter une vraie rencontre avec l’altérité il n’est nul besoin de s’expatrier dans des régions ou des dimensions lointaines, elle aime à puiser son inspiration et ses matériaux dans le quotidien, apparemment, le plus lénifiant. Fil à couture, tissus imprimés, porcelaine et galons de textiles sont les inoffensives et volontairement pauvres matières dont elle tisse ses œuvres pour le moins singulières. Un matériau apparemment suffisant puisque sous les doigts de cette mercière, aussi inquiétante qu’inspirée, monstres, fantômes et autres spectres drolatiques naissent comme en se jouant. Difficile, pour ne pas dire impossible, en fait de qualifier avec précision ces êtres tout à la fois informes et obsédants. Ces fils cousus sur un papier dont ils débordent et s’échappent semblent sans cesse osciller entre l’amibe et l’ectoplasme; Ces sculptures comme drapées dans du tissu d’ameublement peuvent tout aussi bien évoquer une entité extraterrestre  unijambiste que quelques  monstres issus d’une mythologie fantasque. Le plus déstabilisant est l’indécision quasi paralysante dans lequel la contemplation de l’œuvre nous plonge. Car enfin doit-on rire, se formaliser ou bien encore s’effrayer ? Ces hybrides tenant tout à la fois du meuble, de l’animal et du jouet disproportionné provoquent, en effet, autant la compassion horrifiée que l’effroi amusé. Les contempler c’est un peu retrouver toute l’acuité imaginative de son œil d’enfant. L’enfant qui est le seul voyant vraiment habilité à voir le présent, sait tout de l’étrangeté du quotidien. Il sait que dans les greniers et dans les chambres, poupées, armoires et étoffes sont en fait de fabuleuses créatures, faussement endormies, qui n’attendent que son appel pour revenir à la vie. Sophie Papiau sait, et ce n’est pas là son moindre mérite, réveiller en nous ce regard enchanté qui n’appartient, dit-on, qu’aux enfants et aux sorciers.

Franck Redois.         2015

 

 

Such stuff as dreams are made on

Some artists, in order to create a feeling of anxiety ans discomfort, don’t hesitate to overdo it. Shapeless monters, weird distorsions and crude colours are, too often, the classic formula of fantastic art. Sophie Papiau is definitely not one of them. Like TS Eliot who can show us « fear in a handful of dust », she prefers a much more subtle approach ; Knowing that the unknown ans the fantastic are never far from us, she finds her inspiration, and her elements, in everyday life. Sewing thread, floral print, porcelain and bits of textile are the humble and harmless matter she needs to create her surprising works. With those apparently poor elements she is able to give birth to monsters, ghosts and strange beings of all shapes. It is rather difficult, if not impossible, to clearly define those shapeless and haunting creatures. Those sewing threads who seem to flee the paper sheet can evoque amobeas as well as ectoplasms. Some of the textile sculptures look like one-legged aliens or funny demons from some mock mythology. The most disturbing thing is that we don’t know how to react. After all, are we supposed to laugh, to be shocked or to be afraid ? Those hybrids, mix of toys, animals and furniture can amuse as well as terrify. In fact to meet them is to recover a child’s eye. Every child, being a natural magician, knows all about the strangeness of the world. He knows that in the attics and the bedrooms, dolls, cupboards and linen are fabulous animals waiting for his call to come to life again. Sophie Papiau has the rare power, and it is not the least of her merits, to awake in us this magic eye which only belongs, they say, to children and wizards.

Franck Redois.          2015